La transformation digitale de l’Etat au service de la simplification de l’action publique, de la compétitivité et de la lutte contre la fraude se traduit aujourd’hui par de nombreuses initiatives. L’article 153 de loi de finances 2020 amplifie ce mouvement puisqu’il prévoit la mise en œuvre de l’obligation de la facturation électronique entre entreprises entre 2023-2025.
Après une expérimentation de six mois pilotée par l’Agence pour l’Informatique Financière de l’Etat (AIFE) qui s’est achevée en juin 2020, un amendement au projet de loi de finances 2021, s’appuyant sur le rapport de la DGFiP prévu à l’article 153, vient d’être adopté et habilite le Gouvernement à prendre par voie d’ordonnance les dispositions nécessaires à ce nouveau mode d’échange.
L’administration va dès à présent lancer les travaux de concertation, de conception et de réalisation pour la mise en œuvre de cette obligation. A l’appui de notre retour d’expérience en tant qu’entreprise expérimentatrice, trois lignes directrices doivent guider la conception et la mise en œuvre de cette réforme.
Co-construire une nouvelle norme d’échange entre entreprises
Dès l’expérimentation, l’Etat a choisi une démarche de co-construction afin d’anticiper les exigences de ce projet à forte complexité en faisant intervenir toutes les parties prenantes. L’Etat a ainsi sollicité des entreprises pour échanger, via Chorus PRO, de vraies factures liées à des contrats existants, mais aussi les prestataires de services du secteur (éditeurs, opérateurs de dématérialisation).
L’orientation choisie par l’Etat est un modèle où une plateforme publique articulée aux plateformes privées d’e-invoicing B2B fournit des services d’e-invoicing B2B et d’e-reporting en cohérence avec la préférence exprimée par l’écosystème (entreprises et prestataires de services). Par rapport à l’ambition initiale de l’article 153, il est également prévu d’intégrer les données de TVA B2C au périmètre de cette nouvelle obligation.
Dans la continuité du déploiement de Chorus PRO, ce grand mouvement de plateformisation des services d’échanges de factures, devra reposer sur la complémentarité public/privé entre normes impératives et initiatives du marché.
Pour la phase de conception qui va s’ouvrir, la co-construction et les boucles de "test and learn" doivent permettre d’être au plus près des besoins, des contraintes, des freins de l’utilisateur final et des prestataires de services en cohérence avec le modèle cible, tant sur les usages métiers (par exemple sur le suivi des statuts des factures), que sur les formats de données (des factures et des données de TVA) ; sans perdre de vue non plus la dimension des échanges de factures au niveau européen.
"La participation de notre Groupe à la phase d’expérimentation a permis d’attirer l’attention de l’AIFE sur les pratiques en vigueur en matière de dématérialisation des factures BtoB et d’exprimer les attentes de grands Groupes afin que ce projet s’inscrive harmonieusement dans les projets de modernisation des entreprises françaises." Fabrizio Biganzoli, Corporate Finance Department, Sopra Steria
L’Etat, catalyseur de la transformation digitale des entreprises
Avec la généralisation de la facturation électronique, l’Etat établit de nouvelles règles du jeu avec le secteur privé en accélérant une transformation des opérateurs économiques. A terme, l’effort de transformation demandé par l’Etat se traduira, par la systématisation de la dématérialisation de tout ou partie des processus transactionnels et comptables.
Cela permettra donc de rationaliser les processus financiers des entreprises au service de la performance comme par exemple la capacité à mieux maîtriser les évolutions de besoins en fonds de roulement (BFR) et les besoins de trésorerie. Cette dématérialisation permettra d’approfondir la refonte ou la digitalisation des processus order-to-cash et procure-to-pay. Enfin, la dématérialisation sera, par le passage à l’échelle, vecteur de réduction des coûts pour les entreprises : le coût unitaire d’une facture papier entrante se situe entre 14 et 20 € contre 5 à 10 € pour une facture sortante. Comme l’indique la DGFiP dans son rapport, "la dématérialisation des factures représenterait, à elle seule, une économie de l’ordre de 50 à 75 % par rapport à un traitement papier et réduirait le coût de traitement d’environ 30 %."
Dans cette perspective, près d’1 million d’entreprises de toute taille pourraient d’ailleurs bénéficier des raccordements existants à Chorus PRO pour transmettre les données de TVA et éventuellement échanger des factures gratuitement, et en particulier les petites entreprises et les indépendants.
Au-delà, c’est aussi par un accompagnement de l’écosystème existant et déjà fortement impliqué autour de l’AIFE que la montée en charge d’une telle réforme pourra se concrétiser. L’articulation des différentes instances existantes de l’écosystème sont de puissants relais (administrations déconcentrées, fédérations professionnelles, associations d’utilisateurs, réseaux consulaires…) pour entrainer les opérateurs économiques concernés tout en tenant compte des différences de maturité digitale autour de l’e-invoicing. Les gains de chacun (petits indépendants, TPE, PME, grand groupes, utilisateur final d’une solution EDI, opérateur de dématérialisation, experts comptables, starts-up ou grands éditeurs de PGI…) devront pouvoir être rapidement identifiés et concrétisés.
En effet, cette réforme ne doit pas cristalliser les inquiétudes surtout dans le contexte de crise COVID. Au-delà de la question spécifique de la protection des données, cette réforme n’a pas encore été intégrée et anticipée puisque seulement un dirigeant d’entreprises de moins de 10 salariés sur 2 a connaissance du contenu de la loi (Sondage OpinionWay – Quadient de mai 2020). Limiter les coûts de transition des sociétés – notamment pour les TPE – et accompagner les évolutions fonctionnelles et réglementaires sans déstabiliser la vie de l’entreprise et créer d’insécurité juridique doivent être une préoccupation constante. Combiner la montée en charge de la réforme reposant sur une généralisation dès 2023 de la réception et l’obligation d’émission progressive entre 2023 et 2025 pourrait constituer une gestion de la transition comme le souligne la DGFiP. L’Etat pourrait par ailleurs capitaliser sur le cadre réglementaire actuel du droit à l’erreur.
L’Etat doit aussi se transformer lui-même
L’édition 2019 du Baromètre Digital Gouv' Sopra Steria Next mené en partenariat avec Ipsos mettait en évidence que si l’essor des services digitaux publics est largement reconnu par 86 % des personnes interrogées en France, ce constat est généralement atténué par une perception sensiblement moins favorable quant à leur facilité d’utilisation (69%).
L’investissement financier public qui sera consenti pour cette plateforme B2B doit donc être conçu avec des objectifs de simplicité de prise en main, d’accompagnement au déploiement ou encore d’assistance à l’utilisateur et de simplification des procédures déclaratives en matière de TVA pour les entreprises en valorisant les pratiques de design de service.
Afin de maximiser les gains à la dématérialisation de la facturation B2B, plusieurs initiatives complémentaires méritent d’être accélérées :
- L’accélération du déploiement d’une identité numérique professionnelle (ProConnect) qui permet à l’usager de la plateforme, une connexion facile et sûre. Cette identité renforce la sécurité d’un dispositif de grande échelle, particulièrement attendu sur un projet de cette envergure ;
- La mise en place d’initiatives permettant de réduire les points de contact entre le système et les usagers ainsi que la gestion d’habilitation et d’adressage des entreprises, à l’instar du projet de Portail Commun du Recouvrement (PCR) qui vient récemment d’obtenir 29 M€ dans le cadre du Fond pour la Transformation de l’Action Publique (FTAP) ;
- La mise en place d’un annuaire centralisé et normalisé des entreprises françaises, sous réserve d’une haute disponibilité : l’enjeu étant de faciliter la circulation des factures, la disponibilité d’informations fiables sur les entreprises et les filiales (adresses, SIRET, etc.) et de s’adosser à des sources existantes et standardisées autour d’API (initiative du Guichet Unique, API entreprises ou encore Infogreffe).
Pour l’Etat, un autre enjeu de la réforme est le renforcement des moyens de lutte contre la fraude à la TVA estimée à 15 Md€, via la consolidation des données de la base imposable de la TVA pour réduire le VAT Gap (écart entre les recettes de TVA attendues par l’État et les recettes effectivement perçues). La possibilité de collecter en temps réel les données de déclarations de TVA est une opportunité de repenser les modalités de contrôle fiscal. Ces modalités pourraient s’articuler autour du contrôle fiscal "permanent", de la simplification des modalités déclaratives et une évolution du ciblage des entreprises, permettant à l’administration de mieux diriger ses contrôles. Ainsi, le contrôle aléatoire d’entreprises laissera place à des technologies et des méthodes analytiques de données massives. Comme l’explique Philippe Schall, responsable de la mission MRV de la DGFIP : "On va demander à des algorithmes d’apprendre des contrôles réalisés dans le passé et de faire ressortir des entreprises qu’il serait utile d’aller vérifier."
Au total cette démarche est non seulement un puissant levier de modernisation pour les entreprises qui pourront ainsi optimiser leurs fonctions support mais elle favorisera également l’essor des prestataires de services qui pourront enrichir les services digitaux sur l’amont ou l’aval de la facture. Pour l’Etat une telle démarche représente un défi ambitieux de transformation de l’action publique.
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