Une nouvelle stratégie face aux menaces hybrides semble aujourd’hui plus que nécessaire. L’idée du Cercle Pégase ? Contribuer à faire de la lutte informationnelle un nouvel atout opérationnel pour notre pays, dans le cadre de la stratégie nationale de lutte contre les manipulations de l’information en cours d’élaboration au SGDSN.
Dans les allées du International Paris Air Show , entre les Rafale et les drones de toutes tailles, une révolution doctrinale se dessine. Sopra Steria, par la voix de ses experts réunis autour du Cercle Pégase, contribue à une approche innovante de la Défense : l'intégration de la lutte informationnelle dans l'arsenal stratégique multi-domaines. Mon analyse de cette « Pégaserie » de haut vol.
Lors d'une table ronde organisée lors de « Paris Air Show 25 », j’ai eu l’occasion de présenter les fondements de notre nouvelle approche au titre du champ informationnel. Conseiller Défense chez Sopra Steria, je suis convaincu que nous avons une responsabilité particulière face aux menaces hybrides qui pèsent chaque jour sur notre pays et nos entreprises. C’est dans cet esprit qu’est né le Cercle Pégase, que j’ai l’honneur d’animer avec une belle équipe. Il rassemble aujourd’hui plus de 400 membres, issus de cinq mondes complémentaires : le monde politique, académique, les médias, l’économie et l’État. Chez Sopra Steria, nous considérons en effet que notre engagement dépasse le cadre strict de notre activité : nous avons un rôle citoyen à jouer dans la protection de nos valeurs et de nos intérêts communs.
L'émergence du nouveau domaine d’affrontement
La doctrine traditionnelle distinguait trois espaces d'opérations pour nos armées : terre, air, mer. L'évolution technologique a imposé deux nouveaux champs : le cyber et l'espace, et réinventé la guerre électronique avec de nouvelles capacités. Depuis peu, un septième domaine s'impose : l'information.
Le concept multi-domaine naît d'une prise de conscience collective des alliés", explique Fabrice Alborna, l’ex-colonel de l’Armée de l’air et de l’espace, désormais brillant directeur conseil chez Sopra Steria Next. " On peut créer des dilemmes incommensurables, très difficiles à appréhender pour les adversaires et compétiteurs en combinant les milieux traditionnels physiques avec des effets de nature plus immatérielle."
Cette "science de la guerre" de nouvelle génération intègre désormais la lutte informationnelle comme "la guerre des perceptions dans le champ cognitif", selon les termes de l’expert. Une approche qui dépasse largement le cadre militaire pour toucher "jusqu'à l'individu, civil comme militaire, belligérant ou non, avec un effet de tache d'huile qui permet d'aller toucher jusqu'à la granularité la plus fine de la société." Et de citer “l'énorme campagne informationnelle d'exploitation des combats aériens entre l’Inde et le Pakistan dans la nuit du 6 au 7 mai 2025 par les sphères pakistanaise, chinoise et iranienne pour saper la réputation de la France, de son aéronef et donc de son industrie aéronautique”.
Face à la menace, quelle riposte ?
Face à ces menaces, Sopra Steria développe une plateforme de lutte informationnelle articulée autour de trois piliers. L’excellent David Olivier, directeur des activités cyberdéfense et intelligence du groupe, détaille cette approche : "Nous avons des outils de caractérisation pour comprendre ce qui se passe dans le champ informationnel : quelles sont les manœuvres, les relais, les moyens utilisés, est-ce authentique ou inauthentique ?"
Le deuxième volet concerne la réponse : "Le débunkage (démontrer la fausseté des informations) pour construire un argumentaire prouvant que l'information est fausse, et les réactions possibles pour noyer l'information malveillante dans d'autres contenus." Mais le spécialiste met en garde : "La réaction a ses limites et peut contribuer à l'audience de l'attaque informationnelle originelle et ainsi gêner la diffusion de nos propres éléments de langage."
D'où l'importance du troisième pilier : l'information proactive. "Comment diffuser de l'information avec nos éléments de langage et construire un narratif résilient ? S'assurer que l'image ne peut pas être sujette à interprétation, utiliser des termes qui ne ressemblent pas à des mèmes déjà utilisés, diffuser sur différents vecteurs…"
La dimension européenne de la souveraineté informationnelle
Simon Marsol, remarquable directeur technique au sein de la division Défense et Sécurité de Sopra Steria, souligne l'impératif de coordination européenne : "Nous ne pouvons pas le faire à l'échelle franco-française. C'est un enjeu européen pour partager l'information et réagir de manière cohérente, comme nous le faisons en cybersécurité ».
Cette vision s'articule, à mon sens, autour de trois niveaux d'action : l’écosystème national avec les acteurs des cinq mondes, l'échelle européenne pour une réponse coordonnée, et les partenariats technologiques car les modèles d'IA évoluent toutes les semaines ».
La question de la souveraineté technologique traverse ces enjeux. "Il faut être capable de faire évoluer, remplacer et qualifier de nouvelles capacités d'analyse, en s'appuyant sur des champions locaux selon les spécificités de souveraineté de chaque État", précise Bruno Courtois.
La confiance, antidote à la manipulation
Pour conclure, je souhaite revenir sur un principe fondamental énoncé par Hubert Etienne, partenaire du Cercle Pégase : « Partout où il règne la confiance, l'attaque informationnelle s’avère être un mode d’action moins rentable. Dans les pays scandinaves, où la confiance dans les institutions reste forte, la pression informationnelle russe est beaucoup moins efficace.
Un constat qui résonne particulièrement dans le contexte aéronautique propre au salon du Bourget : face aux attaques sur nos capacités aériennes, nous devons réaffirmer notre confiance dans la qualité des aéronefs français et surtout dans les savoir-faire et le courage des pilotes qui les utilisent. C'est notre meilleure réponse aux attaques informationnelles.
Alors que la France est identifiée comme le deuxième pays le plus attaqué après l'Ukraine dans ce champ des perceptions, cette stratégie de lutte informationnelle pourrait redéfinir les contours de la Défense nationale pour les décennies à venir. Le défi : transformer une vulnérabilité en avantage stratégique, en faisant de la maîtrise du champ informationnel un pilier de la souveraineté française et européenne ».