Près d’un tiers des salariés ont été amenés à travailler à distance pendant les deux mois du confinement. Une "primo expérience" – fin 2019, seuls 3 % des salariés télétravaillaient régulièrement – qui s’est avérée convaincante pour nombre d’entre eux : 40 % des Français souhaitent désormais travailler davantage à distance. Ce plébiscite fait en réalité écho aux multiples mutations en cours qui affectent les entreprises, les individus et la société elle-même. En ce sens, la crise sanitaire pousse les organisations à repenser le rapport au travail en faveur d’une nouvelle organisation hybride et pérenne.
L’entreprise à l’épreuve des digital natives
D’ici 2025, 76 % des effectifs seront composés de millénials. Une génération digital native, mobile first, hyper connectée et "naturellement" agile qui se positionne en moteur de la transformation des entreprises. Résultat, le monde professionnel a vu émerger ces dernières années de nouveaux modes
de travail, parmi lesquels le flex office, ce "bureau dynamique" sans place fixe, qui en 2019 touchait déjà plus d’un tiers des employés du tertiaire (36 %).
Autre exemple : le coworking, espace partagé en dehors ou dans l’entreprise elle-même (on parle alors de corpoworking), a connu une croissance de 300 % en 6 ans. Ces tiers lieux ont ainsi donné vie au concept de digital workplace ou de "bureau mobile" offrant la capacité au collaborateur de disposer à tout moment et en tout lieu de son environnement de travail.
Une triple révolution : professionnelle, individuelle et sociétale
En quoi le Covid-19 a-t-il alors changé la donne ? Au-delà de la contrainte, la crise a agi tel un révélateur et un accélérateur de transformation, notamment auprès des managers. Une prise de conscience
confirmée par Bruno Jeanbart, directeur général adjoint d'OpinionWay :
"Finalement, le déblocage a eu lieu chez les salariés mais encore plus chez le management. Celui-ci pouvait être inquiet jusqu'ici, se disant qu'il était préférable d'avoir les équipes sous la main.
L'expérience de ce printemps prouve que, dans la plupart des cas, le télétravail, ça marche."
Pour l’entreprise, l’expérience "réussie" du travail à distance pendant la crise présente aujourd’hui une occasion unique de réduire les coûts opérationnels, de libérer du capital (dans le cas où elle est propriétaire de ses murs), de réallouer les ressources ainsi dégagées pour financer des investissements, et de gagner en flexibilité – et in fine en agilité. Mais c’est également pour elle l’opportunité de répondre aux attentes des salariés en matière d’engagement RSE : équilibre vie professionnelle – vie personnelle, réduction de l’impact environnemental, diminution du temps de transport, etc. Près d’un salarié sur deux accepterait ainsi de gagner moins pour travailler dans une entreprise plus respectueuse de l’environnement et 70 % dans une entreprise ayant un impact environnemental positif.
Mais attention, car pour le salarié, la situation est contrastée. Non seulement, près d’un d’actif sur deux exerce une activité difficilement éligible au télétravail partiel ou total, mais chaque
profil se veut unique. 25 % des collaborateurs éligibles ne souhaitent pas travailler à distance et seuls 20 % d’entre eux privilégient le télétravail à temps complet ou presque (4 ou 5 jours par semaine).
Du contrat de travail au contrat social
Au-delà des questions d’organisation, l’impact sur le plan sociétal peut s’avérer tout aussi important voire provoquer un choc dans certains secteurs tels que l’immobilier, la construction, les transports ou
les infrastructures. À plus long terme, c’est aussi une remise en cause du mythe de la métropole toute puissante au profit d’une véritable décentralisation et de la revitalisation tant attendue – mais
jamais concrétisée – des territoires intermédiaires. Un retour au « local » et à la proximité déjà observé dans les habitudes de consommation en plein confinement.
Il n’existe pas de modèle type prédéfini ni de recette miracle vers lesquels tendre. L’extension et la pérennisation du travail à distance, au-delà de la crise, constituent un véritable projet de transformation dans lequel chaque dirigeant devra construire le "bon" modèle adapté à son entreprise, à son histoire, à sa culture. Comment ? En explorant, en expérimentant, en se posant les bonnes questions et en inscrivant le projet dans un cadre gagnant-gagnant pour l’entreprise et pour le collaborateur. Si le projet est déséquilibré, alors l’effet sera dévastateur.
Penser l’organisation du travail de demain est peut-être une formidable opportunité pour réinventer un nouveau contrat social établi sur la confiance, l'exemplarité des dirigeants et des managers, mais aussi une meilleure conciliation entre vie professionnelle et vie familiale.