La milice Wagner n’est pas seulement une armée privée : elle est une véritable agence de prod’ qui met en scène la violence. Au Sahel, et notamment au Mali, les vidéos diffusées sur Telegram par des canaux affiliés au groupe montrent des scènes de torture, de cannibalisme ou de mutilation. Des contenus volontairement abjects, destinés à terroriser les adversaires du groupe ou de fasciner de potentielles recrues, avec pour objectif d’obtenir un avantage psychologique dans les combats.
Un rapportrendu par des chercheurs de l’Université de Berkeley, révélée par Associated Press, demande aujourd’hui à la Cour pénale internationale (CPI) d’enquêter sur la diffusion de ces images, estimant qu’elle pourrait constituer un crime de guerre à part entière, en terrorisant des populations civiles et en portant gravement atteinte à la dignité humaine.
L’objectif n’est plus seulement de tuer, mais de montrer les actes les plus abjectes, et d’en tirer un effet psychologique sur le théâtre d’opérations. Ces pratiques soulèvent une question juridique intéressante : les community managers de cette barbarie doivent-ils désormais siéger à La Haye aux côtés des bourreaux ?
Dans cette note, le Cercle Pégasedécrypte cette actualité, sur le rôle clé de la plateforme Telegram et sur les logiques d’influence à l’œuvre qui rendent virale la barbarie.
Une innovation dans le droit international
Dans cette note confidentielle transmise à la CPI, les auteurs soutiennent que la guerre psychologique, lorsqu’elle vise délibérément à terroriser une population en diffusant des images de cannibalisme, de torture ou de mutilation, doit être jugée distinctement des crimes qu’elle montre. Autrement dit, l’acte de médiatisation devient un acte criminel à part entière. La diffusion décuple la violence, et l’absence de réponse de la justice contribue à un climat d’impunité qui galvanise ceux qui terrorisent. Pour la première fois, ce n’est plus seulement le bourreau qui est ciblé par les juristes : c’est aussi le « community manager » qui publie, édite, partage.
Le Groupe Wagner au Sahel : une guerre psychologique au service d’intérêts financiers
La note confidentielle prend pour cas d’étude la violence wagnerienne au Sahel, puisque le groupe est devenu un expert de ces mises en scène macabres, dans une région où la violence est banalisée, souvent oubliée.
Depuis la mort d’Evgueni Prigojine, la présence de Wagner au Sahel s’est drastiquement réduite, mais continue ses activités au Mali et en Centre-Afrique, prenant allégrement part au trafic d’or, rentrant ainsi en concurrence avec des groupes jihadistes. Les effectifs résiduels de la milice, qui avaient refusés d’être intégrés à son successeur Afrika Corps, sous contrôle direct du Kremlin, ont par ailleurs annoncé en début de mois la fin de leur mission au Mali.
Or, depuis le début de leurs opérations sahéliennes, dans une lutte pour contrôler territoires et ressources, la terreur numérique est devenue une arme comme une autre.
De nombreuses boucles Telegram, telles que GrayZone ou White Uncles In Africa, diffusaient ce contenu, relatant fièrement leurs faits d’armes les plus macabres. Les légendes parlent d’elles-mêmes : “time to make Black jelly meat”, “the liver is already with the cook”, “cutting and cooking jihadist meat… Mmm”.
Il ne s’agit plus ici de simples opérations psychologiques, mais d’une véritable fabrique de la terreur mise en scène, pensée pour circuler au sein des écosystèmes d’influence russes.
Telegram, au cœur de l’horreur
Ce type de contenu trouve sur Telegram un refuge durable. Si la messagerie chiffrée fondée par Pavel Durov n’est que peu prisée par les populations au Sahel, elle permet cependant aux images de circuler, contribuant au ruissellement de l’information. Telegram est aujourd’hui connue pour sa tolérance, voire son absence de modération, à l’égard de contenus extrêmes. La permissivité de Telegram n’est plus à démontrer. La plateforme s’est imposée comme un véritable hub pour les activités criminelles globales : cybercriminalité, narcotrafic, pédopornographie, tout y coexiste, sans véritable effort de modération. C’est dans cette architecture volontairement opaque que s’inscrivent les campagnes du Groupe Wagner.
Conclusion
Le Groupe Wagner illustre une réalité inquiétante : la violence ne se limite plus aux champs de bataille, elle se déploie aussi dans l’espace numérique, façonnée pour impressionner, diviser et terroriser. Face à cette nouvelle forme de guerre psychologique, il est urgent que le droit international s’adapte, que les plateformes cessent d’être des sanctuaires pour la barbarie, et que les auteurs de cette propagande macabre soient tenus responsables.