Démocratiser la finance : pourquoi la promesse de l'open banking reste hors de portée

par Steven Lenders - Architecte de solutions senior pour le secteur bancaire – Sopra Steria
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Partout en Europe, des millions de personnes sont toujours exclues des services financiers traditionnels. Pour Steven Lenders de Sopra Steria, ce n’est pas parce qu'elles manquent de potentiel économique, mais parce que l'évaluation du crédit traditionnelle ne parvient pas à capturer leur réalité.

Un entrepreneur avec des revenus irréguliers, un immigré récent sans historique de crédit local, ou un jeune professionnel endetté pour ses études mais avec de solides perspectives de revenus : tous se heurtent à des barrières que l'open banking fondé sur les données pourrait faire tomber. Pourtant, malgré des cadres réglementaires incitatifs, la promesse d'inclusion financière par l'open banking reste largement inaccomplie.

« Pour moi, l'open banking était initialement un concept très prometteur, censé débloquer de nouveaux services et stimuler la concurrence », explique Steven Lenders, architecte de solutions senior pour le secteur bancaire chez Sopra Steria. « Cependant, la manière dont la DSP2 (la deuxième directive sur les services de paiement) a été mise en oeuvre s'est révélée quelque peu décevante. Elle n'a pas pleinement tenu ses promesses. »

Ce décalage entre potentiel et réalité est frappant. Selon notre rapport DBX 2025, 72 % des décideurs bancaires considèrent désormais le développement d'une stratégie d'open banking comme une priorité élevée ou modérée, et 65 % la considèrent comme essentielle à leur feuille de route. Ces chiffres suggèrent que le secteur reconnaît l’importance de l’enjeu. Pourtant, la mise en oeuvre reste défensive plutôt que transformatrice.

Comment la conformité défensive a bloqué l'innovation

La racine du problème réside dans la manière dont les banques ont abordé la DSP2. « La plupart des banques ont réagi de manière défensive », observe Steven Lenders. « Elles craignaient une concurrence accrue et se sont concentrées sur la conformité plutôt que sur l'innovation. Beaucoup n'ont fait que le minimum requis, et la qualité de leurs implémentations d'API était souvent médiocre. »

Cette mentalité axée sur la conformité a créé une fragmentation technique dans le paysage bancaire européen. « Pour développer des cas d'usage innovants, les fintechs doivent généralement s'appuyer sur des agrégateurs pour se connecter à plusieurs banques », note Steven Lenders. « Cette dépendance ajoute des coûts et de la complexité. En résumé, la DSP2 n'a pas encore atteint l'objectif de transformer le secteur bancaire. »

Le résultat ? Un système où les populations sous-bancarisées restent mal desservies, malgré l'accès aux données mêmes qui pourraient démontrer leur solvabilité. Historiques de transactions montrant des revenus constants, factures de services publics prouvant la responsabilité financière, habitudes de paiement de loyer : toutes ces données alternatives existent mais restent cloisonnées dans des comptes bancaires individuels, inaccessibles à ceux qui pourraient les utiliser pour créer des services financiers destinés aux populations exclues.

Le scoring de crédit alternatif : l'application phare de l'open banking

Le rapport DBX révèle que parmi les banques classées comme « pionnières » (celles ayant une vision d'avenir claire et des priorités définies), la mise en œuvre de méthodes de scoring de crédit alternatives est la priorité absolue. Ce n'est pas une coïncidence. L'open banking permet aux prêteurs d'aller au-delà des scores de crédit traditionnels en analysant les données de flux de trésorerie en temps réel, les habitudes de dépenses et le comportement financier.

Prenons l'exemple d'un travailleur de la gig economy dont les revenus fluctuent mensuellement. Le scoring de crédit traditionnel y voit de l'instabilité. L'évaluation fondée sur l'open banking y voit une capacité de gain constante, des habitudes de dépenses responsables et des paiements de factures fiables. La différence entre le rejet et l'approbation d'une demande de crédit réside souvent dans les points de données auxquels vous avez accès.

DSP3 : corriger la fragmentation 

La réglementation DSP3 et le règlement sur les services de paiement (PSR), actuellement en négociations finales avec une mise en oeuvre prévue d'ici 2026-2027, visent à remédier à ces lacunes en imposant des interfaces standardisées et performantes à toutes les banques. « La DSP3 et le PSR sont des étapes nécessaires pour dépasser la simple conformité », souligne Steven Lenders. « Quand cela se produira, les services fintech ne seront plus perçus comme des concurrents mais comme des extensions des écosystèmes bancaires. »

Cette harmonisation pourrait enfin libérer le potentiel inclusif de l'open banking. Avec des API standardisées et de haute qualité, les fintechs axées sur les segments sous-bancarisés n'auront plus besoin de naviguer dans des dizaines d'implémentations techniques différentes. La réduction des frictions signifie des coûts inférieurs pour les prêteurs spécialisés servant des populations de niche, qu'il s'agisse d'immigrés récents, de freelances ou de personnes reconstruisant leur crédit après des difficultés financières.

Les données récentes du rapport DBX confirment cette évolution : 62 % des banques prévoient d'augmenter leurs budgets d'au moins 10 % pour améliorer les API business permettant de se connecter numériquement avec des partenaires, tandis que 61 % anticipent des augmentations similaires pour l'accès aux API permettant la finance embarquée.

Des paiements à l'inclusion financière totale : la vision plus large de FIDA

Alors que la DSP3 se concentre sur les comptes de paiement, la future réglementation FIDA (Financial Data Access framework) étend le partage de données aux assurances, pensions, investissements et prêts hypothécaires. Cette extension pourrait transformer la manière dont les populations sous-bancarisées accèdent à une gamme complète de produits financiers.

« FIDA va au-delà des paiements », explique Steven Lenders. « Elle pourrait permettre des services encore plus larges : assurance embarquée, optimisation des pensions ou offres hypothécaires personnalisées. Elle a le potentiel d'ouvrir véritablement la finance en permettant aux consommateurs d'accéder et de gérer toutes leurs données financières en un seul endroit. »

Pour les populations sous-bancarisées, cela signifie des profils financiers holistiques qui capturent leur image complète. Un freelance peut avoir des revenus irréguliers mais une épargne retraite substantielle. Un immigré peut manquer d'historique de crédit local mais avoir une solide couverture d'assurance de son pays d'origine. FIDA rendrait ces données portables et utilisables dans tout le système financier européen.

Des exemples concrets démontrent déjà le potentiel du modèle. Payconiq en Belgique permet des paiements rapides de compte à compte qui réduisent les coûts de transaction en contournant les réseaux de cartes, particulièrement bénéfique pour les utilisateurs à faibles revenus sensibles aux frais. KBC Bank a construit un écosystème autour de l'open banking qui permet aux clients d'accéder à des billets de train, de commander des repas et d'utiliser divers services directement via leur application bancaire, créant ainsi un hub financier de confiance.

L'argument économique pour les banques : 51 % y voient des revenus significatifs

Malgré des réactions défensives initiales, les banques avant-gardistes découvrent que servir les populations sous-bancarisées via l'open banking crée de véritables opportunités commerciales. Le rapport DBX fait le constat que 51 % des banques considèrent désormais les services d'open banking axés sur le bien-être financier comme générant des flux de revenus significatifs.

Les banques dotées de bases solides mais de technologies encore en développement montrent l'intérêt le plus marqué pour la création de produits financiers inclusifs et accessibles. Elles comprennent qu'élargir l'accès n'est pas seulement une responsabilité sociale : c'est une expansion du marché.

« Les banques qui construisent des écosystèmes et des partenariats renforceront leurs relations clients », note Steven Lenders, citant la transformation de KBC Bank en plateforme de style de vie qui transcende les frontières bancaires traditionnelles. « Une telle intégration permet aux banques de rester le hub de confiance pour leurs clients tout en tirant parti des partenariats fintech pour des services spécialisés. »

La voie à suivre : de la promesse à la réalité

Pour que l'open banking réalise son potentiel démocratisant, trois conditions doivent être remplies. Premièrement, la DSP3 et FIDA doivent tenir leur promesse d'API standardisées et de haute qualité dans toutes les banques européennes. Deuxièmement, les banques doivent passer d'une conformité défensive à la construction d'écosystèmes stratégiques, reconnaissant que servir des populations plus larges élargit leur activité au lieu de la menacer. Troisièmement, les fintechs axées sur les segments sous-bancarisés ont besoin de la stabilité technique et réglementaire nécessaire pour construire des services durables.

Les enjeux sont considérables. Le scoring de crédit traditionnel exclut des dizaines de millions d'Européens des services financiers, des personnes ayant un potentiel économique mais des profils financiers non traditionnels. L'open banking, correctement mis en œuvre, pourrait transformer notre façon d'évaluer la solvabilité, en passant de scores rétrospectifs à une analyse prospective du comportement et de la capacité financière.

« J'espère que la DSP3 comblera certaines lacunes et ouvrira véritablement le marché », conclut Steven Lenders. « Il y a beaucoup de potentiel à venir, en particulier avec la DSP3 et FIDA qui ouvrent la voie. »

L'infrastructure technique existe désormais. Le cadre réglementaire évolue. La question qui reste est de savoir si le secteur va embrasser la promesse originelle de l'open banking : non pas simplement permettre la concurrence entre acteurs existants, mais élargir l'accès à ceux qui ont historiquement été exclus du système financier.

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