La crise sanitaire et ses cycles répétés de confinements/déconfinements ont placé le concept de Mobility as a Service au second plan des ambitions des collectivités françaises accaparées par d’autres priorités. Mais le monde d’après s’éveille enfin et deux interrogations s’imposent : les enjeux de mobilité ont-ils évolué au point de transformer, voire de rendre caduques, les raisons d’être et fonctions phares du MaaS ? et les Autorités organisatrices de mobilité veulent-elles encore leur « Whim »1?
Les objectifs à l’origine du développement du MaaS en France sont-ils remis en cause ? Inutile d’entretenir le suspense, ils restent d’actualité : d’un côté, réduire le recours aux modes
de transport individuels carbonés, de l’autre faciliter et fluidifier le déplacement multimodal à l’échelle locale, régionale et nationale, pour désaturer et désenclaver.
Car les effets des dérèglements climatiques et des pollutions atmosphériques en zone urbaine observés ces dernières années confirment l’urgence d’agir à toutes les échelles pour limiter
la hausse des températures globales à la fin du siècle.
Personne ne croit que le télétravail s’imposera à 100%, ou que les Français limiteront naturellement et sur le long terme leurs déplacements loisirs et quotidiens. Dans cette perspective, la simplification des
offres multimodales et l’incitation à y souscrire devraient se poursuivre et s’intensifier.
Des années de la “démobilité” aux années multimodales ?
La crise du Covid n’aura pas eu raison de la LOM, publiée au journal officiel le 24 décembre 2019, dont les grands principes demeurent. Néanmoins, parce que la pandémie aura largement réduit les déplacements
des Français, les finances des Autorités organisatrices de mobilité (AOM) et opérateurs divers pourront-elles supporter demain le déploiement et l’amélioration du MaaS ?
Nous sommes très optimistes à cet égard. Certes, depuis le début de la crise Covid, achats en billetteries et abonnements se sont taris2 , mais les pertes ne sont pas appelées à se creuser davantage.
Et le forfait Mobilité durable, base de financement de la LOM versée par les entreprises aux salariés, a été maintenu et revalorisé.
L’unique raison qui pourrait conditionner les modalités de redémarrage des MaaS selon nous se situe donc au niveau des usages et des attentes. Nous savons trois choses aujourd’hui : les déplacements interurbains professionnels
se sont écroulés et les pointes de déplacements domicile-travail se sont écrêtées avec le télétravail ; le recours à la voiture d’un côté et au vélo ont été
privilégiés face au risque sanitaire.
Et nous pouvons raisonnablement estimer que depuis la reprise de l’activité, le curseur ne se rétablit pas à son niveau d’avant crise. L’expérimentation massive et plutôt satisfaisante des réunions
- et autres rendez-vous clients - à distance voit les voyages professionnels reprendre à un rythme moins cadencé. Par ailleurs, comme le soulignent toutes les enquêtes d’opinion menées depuis deux ans, le télétravail
partiel devrait devenir la norme et ainsi permettre d’étaler davantage les pointes matinales et vespérales de déplacements domicile-travail. Quant aux reports modaux observés pendant la crise sanitaire, ils pourraient
s’intensifier pour certains et se réduire pour d’autres. La voiture et son usage majoritairement individuel sont apparus plus commodes à l’heure des gestes barrières et du port généralisé
du masque. Mais on peut s’attendre à de nouvelles actions des municipalités pour rendre la voiture toujours plus difficilement accessible au cœur de ville. Pour le vélo et les mobilités douces, la tendance inverse
est appelée à s’imposer pour les trajets courts, comme le soulignent notamment les analyses produites par le Cerema3 et l’Observatoire des mobilités émergentes4. Les pistes cyclables
temporairement tracées dans les métropoles devraient être pérennisées.
In fine donc, les tendances déjà présagées avant la pandémie du Covid semblent vouées à s’intensifier. Néanmoins, les usagers des transports, plus ouverts ou contraints à l’emprunt
de modes de transport en commun et/ou doux, pourraient bien renforcer leurs exigences en termes de confort et de flexibilité. La norme de 4 personnes par mètre carré à l’heure de pointe du matin dans le métro
deviendra rapidement moins acceptable.
Entre confort et fluidité : piloter finement la mobilité locale
Les systèmes MaaS devront donc bel et bien repartir et même être encore plus agiles pour devenir rapidement des outils de fluidification de la mobilité. Mais ils devront surtout se muer en véritables outils de pilotage.
Jusqu’à maintenant, on se concentrait sur l’enrichissement de services, en bâtissant des plateformes multi-acteurs et multi-services plus ou moins complètes. La nouvelle tendance consistera sans doute à accélérer
sur la capacité d’incitation et de pilotage de la mobilité au regard des nouveaux usages.
Ainsi, indiquer les correspondances et le temps de marche ou d’attente entre deux modes de transport ne sera plus suffisant. La pertinence du MaaS sera jaugée sur sa capacité à donner plus d’informations sur le taux d’occupation
du bus à l’approche, à proposer un trajet assis garanti de A à Z à un voyageur, ou à envoyer des signaux prix incitatifs aux usagers pour qu’ils se reportent vers un mode de transport moins bondé.
Quoiqu’il en soit, pour que le MaaS se révèle réellement utile aux politiques de mobilité comme aux utilisateurs, il devra d’abord intégrer un mode de facturation intermodal simple et lisible, et articuler
un maximum de services liés à la mobilité dans une application ergonomique. Ainsi, malgré les enjeux de pouvoir entre opérateurs de transports, opérateurs MaaS de type GAFAM et autorités organisatrices,
il faudra, à un moment ou à un autre, qu’ils trouvent des consensus pour ouvrir les informations, co-construire et enrichir le MaaS en continu. Le succès de la gouvernance collaborative public privé déployée
par la Métropole de Toulouse en s’appuyant sur la méthodologie des Plans de Mobilité Interemployeurs dans le cadre du projet COMMUTE peut inspirer les AOM dans leur démarche.