La crise du Covid-19 a révélé de nouveaux besoins en stratégie d’anticipation. Le manque de masques, de respirateurs mais aussi de traitements médicamenteux a lourdement impacté le travail des soignants sur le terrain. Les établissements de santé n’auront désormais d’autre choix que de modifier profondément leur supply chain. Voici quelques conseils pour aborder cette évolution.
Mars 2020, année une du Covid-19, un sujet inquiète les Français : la pénurie de masques. Interrogé à ce propos à l’Assemblée nationale
, l’ancien ministre de la Santé Olivier Véran, déclare alors : « Nous disposons d’un stock d'État d’environ 150 millions de masques chirurgicaux et d’aucun stock de masques FFP2. Il avait été décidé, suite aux crises sanitaires précédentes (2011 et 2013) qu’il n’y avait plus lieu de conserver des stocks massifs de masques sur le territoire. »
Les masques et surblouses sont alors rationnés, place au système D. Une pénurie de respirateurs fait également craindre le pire aux soignants puisque ces appareils sont indispensables dans les cas les plus graves. Ces événements ont ainsi mis en avant les lourds dysfonctionnements présents au sein de la chaîne logistique, impactant directement la qualité des soins.
Quelles leçons tirer de cette période de tension ? « La question de la capacité de production de la France se pose naturellement, mais la phase de fabrication n’est pas la seule responsable sur la chaîne logistique
et ne peut porter à elle seule l’ensemble de la solution pour résoudre les problèmes de supply chain en période de crise », explique Pierre Lebon, partner conseil santé social emploi chez Sopra Steria Next.
Selon le spécialiste, « l’hôpital doit aussi s’améliorer » en n’ayant d’autre choix que d’anticiper les prochaines crises afin de pouvoir, cette fois-ci, limiter l’impact
des ruptures d’approvisionnement.
Connaître les produits essentiels
Les tensions d’approvisionnement ont certes concerné le matériel de protection individuelle, mais aussi certains médicaments. En 2020, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) avait enregistré près de 2450 signalements
de la part de laboratoires qui constataient ou craignaient des ruptures de stock. Trois ans plus tôt, ces signalements étaient de l’ordre de 600. L’ANSM expliquait cette augmentation par l’instauration d’une obligation
pour les laboratoires de déclarer en amont les risques de ruptures de stock. Cependant, plusieurs études ont montré que, pendant la crise du Covid-19 de 2020, de nombreux patients ont été confrontés à
cette pénurie de traitements utilisés en soins intensifs. Pour certains médicaments, les risques de rupture auraient été antérieurs au Covid-19.
Pour Pierre Lebon, il est nécessaire de mettre en place une logique d’anticipation en commençant par « identifier les produits à risque de rupture de stock ». Cette mission doit être prise en charge
par les acheteurs avec la collaboration des prescripteurs capables de classer les produits en fonction des besoins et de l’impact engendré en cas de rupture. Il est ensuite indispensable de trouver une alternative en cas de tensions d’approvisionnement.
Cependant, il ne faut pas perdre de vue que cette autre solution puisse également souffrir d’une rupture de stock. Cela peut en effet survenir si les deux médicaments possèdent une matière première commune
ou ont des lieux de fabrications proches. En effet, le manque d’un médicament ou d’un produit peut être causé directement par le fournisseur. C’est pour cela que « l’acheteur doit être capable de connaître la situation financière et la capacité de production du fournisseur. Il doit aussi savoir si ce fournisseur dépend de facteurs tiers, comme la zone géographique ou la livraison de produits par d’autres distributeurs. Enfin l’acheteur doit connaître la capacité de gestion des crises du fournisseur », soutient Pierre Lebon.
Un stock de sécurité commun
Connaître ses fournisseurs doit donc devenir un automatisme pour permettre d’améliorer la sécurisation de sa chaîne d’approvisionnement et cela même si l’on passe par des centrales d’achat. Toutefois,
pour éviter davantage les mauvaises surprises, mieux vaut élargir son panel de fournisseurs (identification, pré-sélection …). Cela permettrait, en cas de rupture de stock chez l’un, de pouvoir compter sur
les approvisionnements d’un second. Cependant, pour être certain de limiter les incidents, la meilleure solution est encore de prévoir un stock de sécurité sur les produits les plus critiques. Ce stock pourrait même
être partagé par plusieurs établissements hospitaliers. En optimisant et en informatisant la chaîne logistique, les services devraient être capables d’obtenir des informations fiables sur l’inventaire de
ces produits. Ils pourront ainsi savoir en amont s’il leur sera nécessaire d’utiliser le stock de sécurité commun pour les produits les plus critiques et essentiels au bon fonctionnement du service.
Pierre Lebon encourage ce partage, tout particulièrement l’ouverture d’une même stratégie logistique commune. « La crise des masques a montré que la pénurie touche tout l’écosystème des soins : les hôpitaux mais aussi les EHPAD, les transporteurs sanitaires, et même les foyers des citoyens », rappelle-t-il. Selon lui, il est nécessaire de mettre en place une réflexion entre tous les acteurs de la santé au niveau régional. Cela permettra d’instaurer une stratégie d’anticipation à
plus petite échelle pour ne pas se trouver concerné par un problème d’approvisionnement national. Pierre Lebon ajoute ainsi : « Les établissements ont entre leurs mains des pistes de réflexion mais l’État doit aussi porter des orientations fortes et se donner les moyens de les mettre en œuvre. »