Notre dépendance aux technologies étrangères n’est plus une faiblesse passagère, c’est un risque existentiel. Chaque cyberattaque, chaque interruption de service ou manipulation de données met en lumière une réalité alarmante : nous avons trop longtemps sacrifié notre autonomie au profit de la facilité. Alors que la rivalité géopolitique se joue dans les infrastructures et sur l’espace public numérique autant que sur les champs de bataille, reprendre le contrôle de nos systèmes critiques est devenu un impératif stratégique.
La guerre hybride est déjà là
Les tensions internationales ne sont plus confinées aux conflits diplomatiques ou militaires, elles s’intensifient en ligne. Campagnes de désinformation massives, cyberattaques ciblées et manipulations de données visent à déstabiliser États comme entreprises, institutions comme citoyens.
Ces attaques ne sont pas des accidents isolés. Elles sont planifiées par des acteurs étrangers qui exploitent nos failles pour fracturer nos alliances, influencer nos décisions stratégiques et prendre le contrôle, de façon indirecte mais efficace, sur nos infrastructures vitales.
L’Europe, qui aurait dû mieux anticiper cette dépendance, se retrouve dans une position de grande vulnérabilité. Nombre de nos infrastructures critiques - réseaux de télécommunications, centres de données, plateformes du cloud, modèles d’intelligence artificielle ou encore systèmes de défense numérique - dépendent en grande partie de technologies importées, contrôlées par des puissances aux intérêts qui se révèlent de plus en plus incompatibles avec les nôtres. Ces technologies sont autant de leviers de pouvoir, armes silencieuses prêtes à être activées à tout moment.
Le risque encouru est inacceptable. Un conflit diplomatique ou une simple divergence d’intérêts commerciaux peut nous amputer de notre capacité à voir et à agir, nos “partenaires” technologiques pouvant en un instant se retourner contre nous. Cette dépendance n’est plus tolérable. Elle expose nos entreprises, nos administrations, nos démocraties à des ingérences toujours plus agressives, à des pressions économiques et politiques, à des ruptures d’approvisionnement.
Reprendre le contrôle, (ré)unir l’Europe
Il est temps de cesser de considérer la souveraineté numérique comme un simple accessoire : c’est une priorité absolue. La sécurité de nos systèmes et la protection de nos données doivent être placées au cœur des priorités stratégiques.
Cela passe par la construction d’infrastructures capables de garantir notre autonomie, même en situation de crise. Cela implique de soutenir, sans hésitation, les technologies françaises et européennes. Des secteurs comme le cloud, l’IA, le quantique, les télécoms et la cybersécurité doivent bénéficier d’investissements massifs et coordonnés. Il ne s’agit pas simplement de rattraper notre retard, il s’agit de bâtir un écosystème à même de rivaliser avec les géants étrangers.
Les quinze dernières années ont prouvé qu’aucun pays ne peut réussir seul. La souveraineté numérique est un projet collectif qui exige que gouvernements, entreprises et centres de recherche collaborent étroitement.
Nous ne partons pas d’une feuille blanche. Des acteurs, notamment industriels, sont déjà largement mobilisés sur le sujet. Nos chercheurs font partie des meilleurs du monde. Des initiatives existent, qu’il s’agisse de projets de clouds souverains ou de défense informationnelle.
Ces efforts doivent gagner en cohérence et en ampleur, dans le cadre d’une véritable stratégie européenne de long terme, portée par des objectifs communs et un financement adéquat.
La souveraineté comme moteur de croissance
On entend encore trop souvent que la souveraineté numérique serait un frein à l’innovation. C’est faux. Bien gérée, elle peut au contraire devenir un moteur de compétitivité.
En sécurisant nos infrastructures, nous offrirons aux entreprises un environnement stable et prévisible, qui les encouragera à innover. En développant nos propres technologies, nous créerons des emplois et réduirons notre dépendance aux oligopoles étrangers. En garantissant le financement de notre recherche, nous ferons émerger les leaders de demain.
L’Europe a tout à y gagner elle aussi. En choisissant la voie de l’autonomie stratégique, elle pourra imposer ses propres règles sur la scène internationale, au lieu de subir celles des autres et d’être raillée, voire menacée, quand elle a le courage de s’attaquer frontalement aux méga-acteurs.
Le temps presse
Chaque jour d’inaction renforce notre dépendance et affaiblit nos positions stratégiques. Si nous ne reprenons pas rapidement le contrôle de nos infrastructures numériques, nous subirons l’escalade des crises technologiques, économiques et politiques orchestrées par d’autres.
La défense de notre souveraineté numérique est une urgence. Notre sécurité, notre économie et nos valeurs sont en jeu. L’avenir est encore entre nos mains. En agissant maintenant, la France et l’Europe peuvent transformer cette dépendance en une opportunité de croissance et d’indépendance. Ne continuons pas à laisser les autres décider pour nous.