Vouloir devenir une entreprise plateforme ne relève pas d’une transformation superficielle : c’est un choix stratégique assumé qui vise à se positionner au centre de son écosystème pour mieux répondre aux besoins et attentes composites des clients et des usagers. Les organisations s’adaptent ainsi à un mouvement de fond inéluctable de structuration de nouveaux écosystèmes, qui dépassent les filières traditionnelles. Naturellement, ces écosystèmes plus variés, plus ouverts sur des activités différentes et des coopérations originales, interrogent en profondeur la mission et l’éthique des organisations en transformation.
Au-delà de l’innovation, quelles valeurs pour l’entreprise plateforme ?
Bien sûr, l’entreprise plateforme définit et précise son positionnement et son périmètre d’action à l’ère des écosystèmes, mais surtout, elle met sa mission et son éthique
au cœur de son écosystème. Celles-ci affirmées et partagées sont en effet les garants de la cohésion de l’ensemble des réponses et services qu’apportent des partenaires très différents
aux besoins des utilisateurs. Or, pour y parvenir, une confiance élevée entre toutes les parties prenantes de la plateforme est vitale. Cette confiance s’appuie nécessairement sur des valeurs communes. Autrement dit, une
entreprise plateforme ne peut séparer la définition de sa mission, de sa capacité à véhiculer ses valeurs au sein de son écosystème. C’est un élément essentiel des « règles
de la maison commune », pour paraphraser Alexandre Viros, directeur général de e-voyageurs SNCF* au sujet du riche écosystème animé par la plateforme OUI.sncf. C’est aussi sur les valeurs de la souveraineté
que se construit l’Etat Plateforme d’Henri Verdier. Ou encore sur les plateformes de santé que Dominique Pon veut construire avec « un numérique en santé humaniste, citoyen et éthique ».
Dans un monde numérique, où la qualité de services s’est banalisée dans tous les secteurs (réduction des délais de livraison, expérience client améliorée, …), les valeurs, l’éthique,
la confiance, la résilience, la sobriété et la responsabilité sociale sont des axes stratégiques de développement. Une entreprise plateforme doit non seulement être excellente opérationnellement
mais aussi éthique et responsable. Et en la matière, les remous provoqués par les GAFA et autres entreprises disruptives ont provoqué des contrecoups intéressants. Par exemple, les taxis G7 ont su évoluer et reprendre le dessus face à la concurrence. Au-delà d’une application qui n’a aujourd’hui rien à envier à celle
du concurrent Uber, l’entreprise a fait de l’énergie verte, de la formation de ses collaborateurs et d’une approche responsable des services, une part déterminante de son activité. On peut citer également
l’initiative « Ma Santé 2022 » de l’état français Cet impératif s’avère d’autant plus important pour les grandes entreprises qui adoptent des stratégies d’entreprise
plateforme pour se différencier.
Vitesse, excellence, ouverture et plaisir… au côté de la confiance
Dans ce contexte, les concepts clés de la transformation des entreprises, que sont la vitesse, l’excellence, l’ouverture et le plaisir deviennent les vrais défis des écosystèmes. Déjà difficile à
mettre en œuvre pour une entreprise seule, l’avènement de ces quatre facteurs de transformation est clairement bousculé par un fonctionnement en écosystème. En effet, en matière de vitesse, les crises
sanitaires, écologiques, sociales et économiques actuelles font émerger au sein des entreprises plateformes une gouvernance qui lui permet de prendre vite des décisions à de nombreuses voix, afin comme le dit Isabelle
Kocher ex CEO d’ENGIE de transformer les baleines en un banc de poisson agile. Ou encore, quand Jean-Christophe Lalanne, EVP CIO d’Air France-KLM* pointe le défi que représente les décisions communes des membres de
la plateforme communautaire Skyteam.
De la même façon, l’excellence d’un écosystème est limitée à celle du plus faible de ses membres. Le sujet devient celui de la multiplicité et de la fiabilité globale, au-delà des
frontières de l’entreprise, et chaque maillon – aussi petit soit-il – est alors aussi important que les autres. Toutes les entreprises vont ainsi vivre ce qui est le quotidien des industries automobile ou aéronautique,
en termes d’exigences de qualité et de gestion d’une chaine complexe. Le choix des nouveaux partenaires, tout comme leur sortie potentielle de l’écosystème, deviennent des enjeux de confiance majeurs. Et pourtant,
cette ouverture n’est pas négociable : si l’on veut avoir vitesse et excellence, on ne peut tout simplement pas vouloir tout faire soi-même dans un environnement de services sophistiqués et transverses.
L’Europe, la vague d’après
Pour garder cette dynamique liant vitesse et excellence, l’entreprise plateforme a par ailleurs besoin d’attirer les meilleurs. Le sens et le plaisir que vont trouver les collaborateurs à servir la mission de l’entreprise au quotidien
est donc un facteur non-négligeable à prendre en compte. Mais en écosystème, ce dernier devient également valable vis-à-vis des partenaires dont le niveau de proximité et d’intimité avec
l’entreprise n’aura parfois rien à envier à celui de ses propres collaborateurs. Le seul cadre du contrat n’est plus assez puissant pour maintenir ce lien. Avoir une même vision, des missions compatibles et complémentaires,
et des valeurs partagées est indispensable.
A ces conditions, l’avenir est effectivement celui des entreprises plateformes et de leurs écosystèmes, plutôt que d’une énième vague de nouveaux entrants disruptifs. Les GAFA ont certes bousculé et
mis sous pression les grandes entreprises, mais celles-ci ont par la même pu améliorer énormément leurs services. En franchissant la marche suivante de l’entreprise plateforme, elles reprennent dorénavant la
main. En la matière, Jean-Louis Beffa a raison de souligner dans son ouvrage "Se transformer ou mourir, les grands groupes face aux start-up" que les groupes français et européens peuvent être "la vague d’après"
que tout le monde attend, en s’appuyant justement sur leur capacité à redéfinir leurs missions et à assumer les valeurs qui donneront l’avantage à leurs écosystèmes. C’est par cela,
aussi, que passe le fait de construire ensemble une avenir positif en mettant le digital au service de l’humain.